jeudi 16 septembre 2004

Il faut sauver le protocole de Kyoto

avec Richard Baron

publié par La Tribune et l'IDDRI

lundi 12 avril 2004

A quand le pétrole à 50 dollars le baril ?


Le prix du pétrole est aujourd'hui à 40 dollars le baril, alors que depuis 1986 il était resté, en moyenne annuelle, dans une fourchette de 20 à 30 dollars. La hausse est-elle conjoncturelle, fruit de la situation en Irak et d'une demande américaine et asiatique vigoureuse ou reflète-t-elle plutôt un déséquilibre structurel du marché pétrolier et l'insuffisance des capacités de production ? Pire, cette hausse ne serait-elle pas l'annonce du "peak oil", ce pic de production mondiale redouté, que certains prévoient pour demain ?

Fourchette

Les différentes études menées pour le département de l'Energie américain, l'Agence internationale de l'énergie ou la Commission européenne indiquent pourtant que jusqu'à 2030 l'approvisionnement mondial pourrait être assuré à des prix modérés. Ces études conduisent cependant à une fourchette de 25 à 40 dollars le baril : la différence n'est donc pas négligeable. D'autre part, il ne faut pas faire dire aux scénarios plus qu'ils ne prétendent. Les modèles économiques ne peuvent saisir toute la complexité du monde. Ils se contentent de décrire une évolution possible, où priment les variables fondamentales de l'économie et dont sont exclus les obstacles politiques et a fortiori les crises majeures. Dans ce cadre d'hypothèses, l'industrie pétrolière serait en effet capable d'assurer pour les vingt prochaines années un approvisionnement régulier. Les scénarios de prix modérés sont donc possibles, mais ce ne sont pas pour autant les plus probables.

A court terme tout d'abord, les capacités pétrolières sont menacées par la crise irakienne et par des actes de terrorisme dans les pays du Golfe. Les Etats-Unis ne sont sans doute pas intervenus en Irak pour directement "mettre la main" sur les réserves pétrolières. Leur grand dessein était plutôt d'imposer une normalisation de l'Irak et, par contagion, de la région afin en particulier de créer les conditions d'un accès au pétrole qui serait régi plus par l'économie et moins par la politique. Le moins qu'on puisse dire est que, plus d'un an après, ce grand dessein n'a pas abouti et que les risques terroristes n'ont pas été réduits, au contraire. En cas d'attaque sur des installations pétrolières, le pétrole pourrait repasser immédiatement la barre des 50 dollars le baril, niveau qui avait été atteint entre 1979 et 1985.

Ensuite pour les dix à vingt prochaines années, les études prospectives font apparaître un autre défi : celui du nécessaire doublement des capacités de production des pays de l'Opep. Historiquement, l'organisation n'a jamais produit durablement plus de 30 millions de barils/jour. Or les projections s'accordent pour indiquer que, sous la poussée de la demande des pays émergents, ce chiffre devra être doublé d'ici à 2030. Ce doublement serait possible en termes techniques et économiques, compte tenu des faibles coûts de développement. Mais il impliquerait un retour massif des compagnies internationales, une ouverture de l'accès aux ressources et des flux d'investissement très importants, même s'ils sont très rentables. On peut une fois de plus imaginer un état du monde dans lequel ce retour des compagnies serait réalisable. Mais on peut plus facilement encore identifier des configurations - de l'enlisement en Irak au développement d'une crise politique en Arabie Saoudite, en passant par des crises israélo-palestiniennes récurrentes - qui remettraient en cause les conditions de stabilité requises pour des investissements massifs dans la région du Golfe. Ce serait alors par insuffisance des capacités de production que le prix du pétrole repasserait la barre des 50 dollars.

Enfin, à supposer que les écueils du court et du moyen terme puissent être évités, reste posée la question du "peak oil" : un pic pétrolier mondial surviendra lorsque plus de la moitié des ressources récupérables de pétrole aura été produite ; on verra alors la production conventionnelle se stabiliser puis décliner, inexorablement. Ce pic est-il pour 2005 comme l'annoncent les plus pessimistes, ou seulement pour au-delà de 2050 ? Les thèses sont exprimées de manière d'autant plus péremptoire qu'elles sont contradictoires. Si l'on prend en compte le progrès technique dans la récupération et la possibilité de mobiliser les hydrocarbures non conventionnels, on peut penser que le "peak oil" n'est pas pour demain ; il se produira cependant avant 2050. Il faudra donc, dans les prochaines décennies, avoir trouvé les technologies de remplacement au pétrole. Or la maîtrise de la demande dans les transports, le développement massif des carburants de remplacement ou encore celui du vecteur hydrogène demanderont des prix élevés, sans doute au-delà de 50 dollars.

Défi majeur

Comme on le voit, la question n'est pas de savoir si le pétrole repassera au-dessus de 50 dollars, mais quand et dans quelles conditions, lors d'une crise géopolitique aiguë ou lors d'une "grande transition" vers une société de l'après-pétrole. Pour les décideurs politiques il s'agit donc de définir quels efforts entreprendre pour limiter les coûts de l'ajustement. Compte tenu de l'importance du pétrole dans les économies modernes, de l'inertie dans les comportements de consommation et de la durée de vie des infrastructures, mieux vaudrait par précaution agir le plus tôt possible.

D'autant qu'un autre défi majeur invite à limiter de manière radicale le recours aux énergies fossiles : celui du changement climatique. Une politique active dans ce domaine serait d'ailleurs peut-être la seule voie pour que, finalement, le prix du pétrole ne s'établisse pas... au-dessus de 50 dollars le baril.