lundi 9 juin 2008

Fiscalité écologique, la voie de la raison

Tribune publiée dans Les Echos du 9 juin,
avec Nicolas Hulot, Dominique Bourg, Alain Grandjean et Jean-Marc Jancovici
(dans le même numéro, voir le point de vue de Christine Lagarde)

lundi 3 mars 2008

La taxe CO2, un élément central des politiques climatiques

Le plus dur est d'introduire la taxe

Propos recueillis par Christelle Deschaseaux, pour EnergiePlus, N°400

La réduction des émissions de gaz à effet de serre est un enjeu international mais aussi local. Pour y parvenir, des mécanismes économiques peuvent être sélectionnés selon le résultat souhaité. L’Europe s’est appuyée sur le système des quotas pour le secteur de l’industrie et la France pourrait s’engager vers une taxe pour le bâtiment et le transport.

Quels sont les mécanismes économiques pour lutter contre le changement climatique ?

Dans la panoplie des économistes de l’environnement, nous distinguons habituellement trois grands types d’outils, dont deux sont strictement des outils économiques. Les taxes environnementales ont été théorisées par un économiste anglais, Arthur Pigou, en 1920 dans son ouvrage « l’économie du bien-être » où il posait déjà le problème de la prise en compte dans le calcul économique des coûts environnementaux. La solution qu’il proposait était la fameuse internalisation des coûts externes. L’idée des quotas négociables est due à l’apport de Ronald Coase en 1960 sur les droits d’accès à l’environnement. Huit ans plus tard, John Dales invente le système de quotas d’émissions négociables d’abord appliqué sur les droits d’exploitation des forêts au Canada. En parallèle à ces théories économiques, les politiques environnementales se développent en pratique dans les années 60, par exemple à travers le Clean Air Act aux États-unis. Il s’agit alors de systèmes fondés sur des normes et des standards, ce que les américains appellent « command and control ». L’état commande et il contrôle le résultat. Ce mécanisme est traduit aujourd’hui dans le langage de la négociation climat en «politiques et mesures». Par exemple, l’état décide d’imposer une norme sur les bâtiments, un standard d’efficacité énergétique sur les chaudières, etc.

Quels sont les avantages et les inconvénients de chacun de ces outils ?

Aucun de ces outils n’est parfait. La taxe a l’avantage d’être efficace économiquement. Son coût est connu mais son résultat n’est pas directement prévisible et il n’est pas certain que la politique adoptée soit optimale socialement parlant parce qu’il faudrait connaître exactement le coût marginal de la pollution et celui de la dépollution.

Pour le système des quotas, le problème est inverse. L’Etat donne les quantités de pollution ou d’émissions de déchets autorisées mais il est impossible de déterminer à l’avance le prix des quotas sur le marché. C’est une grande incertitude. Un autre problème réside aussi dans l’attribution initiale des quotas aux différents acteurs économiques.

Pourquoi l’Europe a-t-elle fait le choix des quotas pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre (PNAQ) ?

Dans les années 1990, les Européens, du moins une partie d’entre eux, étaient plutôt pour les taxes et les Américains plutôt pour les quotas. Les européens étaient alors opposés aux quotas car ils estimaient que ce système n’était pas éthique et qu’il s’agissait d’une marchandisation de la nature. A l’époque, les États-Unis étaient de leur côté hostile au principe de la taxe. Par ailleurs ils avaient déjà mis en place un système d’échange de droits d’émissions pour le SO2 (dans le cadre d’un amendement du Clean Air Act) qui fonctionnait très bien. Ensuite, il y a eu une inversion complète des préférences entre les États-Unis et les Européens.

Comment le changement s’est-il opéré ?

Lors des négociations pour établir le protocole de Kyoto, les États-Unis ont fortement poussé le mécanisme des quotas associés à objectifs quantitatifs contraignants. Les Européens s’aperçoivent finalement que la taxe est peut-être économiquement efficace car elle donne la garantie d’une bonne proportionnalité des efforts, mais que du point de vue de l’efficacité environnementale, les quotas peuvent être plus adaptés car ils permettent de contrôler directement les quantités. Un instrument perçu au départ comme très libéral devient au contraire le moyen d’une régulation beaucoup plus sévère. A Kyoto, en 1997, les Européens acceptent finalement le système des quotas. Les Américains font le chemin inverse et avec le changement politique, ils décident en février 2001 de se retirer. Depuis, ils refusent tout objectif quantitatif. En revanche, les Européens s’ancrent sur le système de quotas et l’introduisent pour le secteur industriel en 2005. Le système des quotas fonctionne, le protocole de Kyoto a été consolidé mais son futur est encore incertain. Il s’arrête en 2012 donc il faut discuter du post 2012. Aux États-Unis, les objectifs quantitatifs de réduction font leur retour dans certains États mais pas dans le discours du gouvernement fédéral. Avant la conférence de Bali, les choses ont un peu bougé. L’Australie a signé le protocole de Kyoto et les États-Unis perdent ainsi leur principal allié. Par ailleurs, la Chine a choisi d’utiliser l’outil « politiques et mesures ». Il faut encore lever le verrou américain et pour cela, les élections présidentielles sont très attendues. Enfin, il faut faire en sorte que les pays émergents acceptent des objectifs de réduction.

Les trois outils peuvent-ils coexister ?

Absolument, il ne faut surtout pas voir les différents dispositifs comme s’excluant les uns les autres. Les politiques et mesures, tout comme les normes techniques et les standards, nous en avons besoin car ils donnent des signaux clairs aux industriels pour innover. Le système européen des quotas a été difficile à construire, il ne faut pas le casser maintenant. Il va être renforcé encore après 2012 et il peut constituer la base d’un marché international. Un jour, ce système restreint à l’Europe s’ouvrira sans doute soit progressivement à d’autres pays soit plus rapidement si un accord sur des objectifs quantitatifs est trouvé. D’autant que dans ce système, il y a les projets MDP qui sont une très bonne solution pour faire financer par les pays du nord des projets dans les pays du sud. Pour toutes ces raisons, je suis opposé à l’idée d’une taxe CO2 internationale qui viendrait remplacer le système des quotas, alors que je suis favorable à une taxe nationale ou européenne pour les secteurs non couverts par le dispositif des quotas. Par ailleurs il faut très sérieusement analyser l’idée d’une taxe CO2 aux frontières de l’Europe, car elle permettrait de compenser le différentiel de compétitivité imposé aux industries européennes, par rapport à celles des pays sans objectifs de réduction.

Que pensez-vous de la contribution climat énergie dont le principe a été adopté lors du Grenelle ?

En France, les émissions de gaz à effet de serre de la grande industrie et du système électrique sont gérées par le système européen des quotas, pour environ un tiers du CO2 émis. Pour traiter les secteurs du transport et du bâtiment, trois types d’instruments sont possibles : la taxe, les permis individuels et le système de quotas en amont. Suite au Grenelle le renforcement des normes pour l’habitat est un acquis important, mais je pense qu’il faut aussi que soit instituée une taxe, dont le contenu exact est encore à définir. Se poserait alors la question de l’utilisation de cette taxe. Trois solutions sont possibles : verser la taxe au budget général de l’Etat, l’affecter directement au financement des investissements pour l’efficacité énergétique et les énergies propres, enfin redistribuer cette taxe aux citoyens, de manière égalitaire. Chaque solution présente des avantages et des inconvénients. La dernière, celle de la redistribution constituerait en France une véritable innovation : dans ce schéma, le consommateur d’énergie fossile paie, mais le citoyen reçoit.

Le processus de mise en œuvre de ce qui pourrait être une Contribution climat-énergie se fera dans le cadre de la RGPO (révision générale de prélèvements obligatoires) au printemps. En tous cas, pour respecter le principe de neutralité fiscale, il faudra bien montrer alors que l’argent pris d’un côté, va être supprimé de l’autre.

Comment peut-elle être mise en œuvre sur le terrain ?

Elle s’appliquera, par exemple, à chaque fois qu’un consommateur achète de l’essence et dans le secteur du bâtiment, à chaque achat d’énergie fossile. Au départ, la taxe ne devait prendre en compte que le CO2 mesuré à la consommation d’énergie fossile, au point d’émission. Ainsi si EDF brûle du gaz naturel dans une centrale, EDF paie la taxe correspondante mais pas directement le consommateur d’électricité. Les ONG environnementales ont cependant demandé l’introduction d’une taxe mixte (carbone et énergie) pour que le nucléaire ne soit pas favorisé. La difficulté sera ensuite de mesurer le poids de chacune des deux composantes.

Combien la taxe va-t-elle coûter aux consommateurs ?

Pour le Ministère de l’industrie, puis dans un cadre différent celui de la Fondation Nicolas Hulot, nous avons étudié des scénarios énergétiques construits pour atteindre le Facteur 4 (division par quatre des émissions en 2050) et qui permettent d’estimer la taxe à environ 400 euros par tonne de CO2 en 2050. Le chiffre est important mais ne représente en fait qu’un euro par litre d’essence. Pour limiter le changement climatique, ce n’est finalement pas hors de proportion. Cela veut dire que le prix de l’essence doublerait dans 50 ans mais si les voitures consomment deux fois moins, alors l’impact pour le consommateur serait nul. Bien sûr, le gouvernement ne devrait pas introduire une taxe de 400 euros/t du jour au lendemain mais il faut la faire démarrer le plus tôt possible et l’augmenter progressivement. Elle pourrait s’arrêter de croître le jour où l’on atteint le Facteur 4 par exemple. Toute l’idée de la taxe est de donner un signal clair aux acteurs économiques et il faut une certaine stabilité sur la durée. Le plus difficile est sans doute de commencer.

Dans le bâtiment, il existe déjà les certificats d’économie d’énergie, une taxe supplémentaire ne risque pas de compliquer les choses?

Si, bien sûr et ces dispositifs peuvent être utiles. Mais s’il fallait revenir à un seul système, il faudrait mieux choisir la taxe comme outil principal.

La taxe carbone pourra-t-elle s’appliquer à tout le monde ?

Oui, c’est dans son principe-même. Mais il faut être très soucieux des impacts qu’elle peut avoir sur certaines catégories de la population en particulier les moins favorisées qui sont souvent dépendantes de la voiture. Les personnes habitant très loin de leur travail n’ont pas le choix. La définition de la taxe dans le processus RGPO devrait permettre de clarifier tout cela et de prévoir des mesures d’accompagnement, pourquoi pas une nouvelle version du chèque transport dans les entreprises.

lundi 14 janvier 2008

Croissance durable: entre mythes et réalité

Note de travail, publiée dans le cahier spécial de La Recherche de janvier 2008: